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Discours de Gaston Monnervile, Président de l'U.J.A. de Paris, lors du banquet annuel du 19 mars 1928 (extraits)

Après avoir salué les présents et notamment le Bâtonnier Gustave Mennesson, Gaston Monnerville poursuit en s’adressant au Bâtonnier en exercice, Georges Guillaumin :

Et c’est surtout vers vous, M. le Bâtonnier Guillaumin, qu’en cet instant monte notre gratitude. Vous avez bien voulu nous faire le grand honneur d’accepter la présidence de ce banquet. A vrai dire, votre présence au milieu de vos jeunes confrères était espérée sans anxiété. Vous aussi, vous avez spontanément fait crédit à notre inexpérience. Il nous sera difficile d’oublier qu’à l’heure où les fondateurs de l’Union des jeunes avocats, isolés dans ce Palais, si propice à l’indifférence, étaient en quête de sympathies et de conseils avisés, leur conviction a trouvé en vous les affinités qui l’ont soutenue. L’adhésion de votre esprit était née du soin que vous aviez pris de vous pencher sur les problèmes qui préoccupent notre jeunesse. C’est, pour un jeune, un privilège envié que de vous rendre un public hommage.
Peut-être lui permettrez-vous d’ajouter qu’en agissant ainsi vous faisiez preuve de quelque mérite. Combien peu, hélas ! les jeunes générations bénéficient de cette souriante sympathie que leur dispensait l’indulgence du passé ! Naguère encore, l’ardeur des nouveaux venus était appréciée comme une source d’émulation salutaire et féconde. Leur témérité était accueillie comme un gage de la reviviscence et du perpétuel rajeunissement de la race. Ils étaient l’avenir séduisant et choyé ! Bienveillante philosophie et sourires complices d’une vieillesse qui se souvient étaient la rançon de leurs plus folles audaces, et Baudelaire chantait « la jeunesse insouciante comme l’azur du ciel, les oiseaux et les fleurs ».
« Les jeunes ! » Jamais peut-être ces mots n’ont été prononcés avec plus d’inquiétude. On leur prête un individualisme forcené, un outrancier désir d’indépendance. On les croit aisément prêts à faire fléchir principes et traditions devant leurs appétits ; et même le noble souci qu’ils ont de travailler au développement de leur personnalité est souvent interprété comme la volonté de ruiner les acquisitions du passé.
Quelle erreur, ou quel douloureux malentendu !
Sans doute, la jeunesse ne saurait parler d’elle. Il est de son essence d’agir et d’être jugée aux actes qu’elle accomplit. Mais son silence aurait lieu de vous surprendre, si elle n’avait déjà trouvé en des esprits avertis comme vous, M. le Bâtonnier, les défenseurs les plus autorisés. Vous avez en effet compris que ces nouvelles générations portent en elles les fulgurations de la guerre ; que, formées dans l’ardent creuset de la plus âpre lutte, elles ne pouvaient envisager la vie avec cette sérénité et ce dilettantisme qui fait le charme de leurs aînés. Moins favorisées que celles-ci, elles n’ont pas reçu en partage le loisir de s’évader du réel ; de s’attarder aux phosphorescences du rêve, de suivre « les caprices de son architecture mouvante, et les enroulements de ses volutes d’or ». Pour elles, l’existence s’est révélée avec une rudesse et une hostilité singulières ! Elles auraient pu se résigner, composer avec elle, croupir en décadence. Mais elles ont pensé que le désespoir n’est pas une carrière ; elles ont senti qu’elles devaient à leur récent passé de prendre leur part des responsabilités communes, et de ne pas se contenter de déléguer à autrui la tâche d’organiser leur vie. Pour ne pas être vaincues par l’existence, elles se sont armées contre elles ; et dans cette lutte qui épuise parfois, mais toujours grandit, elles ont cru noble et digne de revendiquer une place.
Voilà, M. le Bâtonnier, ce que vous a permis de pressentir votre naturelle sollicitude pour la jeunesse.
Familier des réactions de cet âge, vous avez perçu, en outre, que ses préoccupations et ses incertitudes ne lui ont pas fait abdiquer l’enthousiasme et la générosité qui sont sa vraie nature. Vous avez connu que nous ne sommes ni des esprits aigris, ni des cœurs desséchés ; que notre précoce maturité est vivifiée et comme rafraîchie par notre foi en l’amitié et en la joie. Nous savons exulter un succès légitime ; notre attachement ne se détourne pas du mérite méconnu ; la gaîté n’est pas étrangère à nos cœurs. Nous savons rire ; nous savons aimer ; la jeunesse n’est pas encore sortie de nous.
Il y a là de quoi rassurer ceux que pourrait retenir un scepticisme irréfléchi. Au reste, s’ils appréhendaient de notre exubérance une trop bruyante activité, il ne nous déplairait pas de nous voir appliquer, avec une bonne grâce et une modestie que vous ne manquerez pas d’apprécier, la délicieuse boutade de Sainte-Beuve sur Mme de Sévigné : « Elle a l’expression charmante, mais agréablement excessive, comme une étoffe bouffante ; il y a place pour en rabattre un peu. »
Mais, vous le savez, nul excès n’est à craindre de notre véhémence. L’Union des Jeunes Avocats a fait ses preuves. Elle groupe aujourd’hui l’élite du jeune Barreau que, dans un même effort d’amicale solidarité, ont  su retenir l’attachante bonhomie de Python, la mesure éclairée de Tercinet, la fougue souriante de Martinaud-Déplat, et l’intelligente autorité de Delavente. Au cours de ces présidences successives elle a acquis droit de cité au Palais, par sa persistante fidélité aux buts qu’elle s’est assignés : collaborer à l’évolution de la profession d’avocat en s’inspirant à la fois des nécessités inéluctables de la vie moderne et de la sagesse éprouvée de nos règles traditionnelles. Ce souci primordial l’a guidée vers l’étude des problèmes d’ordre exclusivement professionnel. Problèmes intéressant les jeunes avocats : institution du prêt d’Honneur, réforme des consultations gratuites, réforme de l’Assistance judiciaire, et enfin réforme du stage, question délicate, qui témoigne de son désir de voir maintenir  toujours très haut le prestige de l’Ordre par le contrôle de la valeur professionnelle de ses membres. - Problèmes d’ordre plus général, et qui visent à protéger la profession contre les empiètements d’une concurrence sournoise : réorganisation de la défense devant les justices de paix, les conseils de guerre et le Conseil des Prud’hommes ; application stricte de la circulaire du ministre de la justice, de 1924, protégeant le monopole de la plaidoirie reconnu aux avocats ; révision et modification du mode de calcul de la patente, en vue de son adoucissement en faveur des loyers modestes ; enfin, l’admission d’un insigne professionnel, moyen de protection efficace contre l’usurpation du titre d’avocat. Cette réforme a fait l’objet d’une étude approfondie par le Conseil de l’Ordre qui, dans sa délibération du 17 janvier, en a autorisé la mise en application.
C’est grâce à la vigilante intervention de MM. Les Bâtonniers Aubépin et Guillaumin que ce résultat a pu être obtenu. Il constitue à nos yeux le témoignage le plus décisif de l’intérêt qu’ils portent à leurs jeunes confrères. Qu’ils restent persuadés que notre gratitude ne lui est pas inégale.
Cette rapide esquisse des travaux de notre association suffit à vous montrer qu’elle n’a pas trompé la confiance que vous aviez mise en elle. « Confiance provisoire » disait Delavente, voici deux années. Confiance inébranlable, me permettrez-vous d’affirmer, maintenant que les résultats obtenus, les méthodes qu’elle a suivies, l’esprit qu’il a toujours inspirée vous ont apporté la conviction que l’Union des jeunes avocats peut aspirer à créer sans détruire. Elle a montré que l’évolution désirée ne brise pas nécessairement le cadre des règles professionnelles qui sont notre sauvegarde et la plus sûre garantie de notre indépendance. L’arbre pousse en plein ciel, mais il tient à la terre par ses racines. La volonté de voir se réaliser nos plus ardentes aspirations n’exclut pas chez nous l’amour d’une liberté calme, ni ce grain de sagesse qui, tout en souhaitant les améliorations, sait éviter les aventures. Avant que d’entreprendre, notre raison, amie de la mesure, s’inquiète de la légitimité de nos désirs : et pareils en ce point à ceux qui nous ont précédés, nous entretenons avec ferveur le culte de Pallas Athénée, « la déesse aux yeux clairs ».
         C’est, j’imagine, la meilleure assurance que nous puissions offrir à votre confiante amitié. Elle n’a pas à redouter que, nous méprenant sur sa véritable valeur, nous ne réalisions rien qui ne soit digne d’elle. « De quelque côté que l’on incline la torche, la flamme se redresse et monte vers le ciel »
Mes chers confrères, je vous invite à lever votre verre à la prospérité croissante de l’Union des jeunes avocats, à tous ses amis qui lui ont fait la joie de communier avec elle en une si réconfortante harmonie.

 
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