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Gaston Monnerville par Georges Delavente (Portrait publié par « la Vie judiciaire » du 30 janvier 1928) 

Chaque jour on le rencontre dès la première heure des audiences, traversant la Galerie marchande d’un petit pas rapide de chasseur à pied. Un peu sec, ramassé, le jarret nerveux, martelant le sol, Gaston Monnerville passe, la mine éveillée, le nez spirituel et curieux. L’œil vif, le teint sombre, les cheveux ondulés parfaitement noirs, il échappe à l’air tragique par un éclatant sourire. Le regard aigu, presque phosphorescent, comme ces mers des Tropiques qui l’ont vu naître, se voile parfois d’une ombre ; nostalgie des horizons lointains de sa prime jeunesse.
Avec des réflexes rapides – tels ceux de la Martinique – il est au moral ce qu’il annonce physiquement. Rien du bavard ou de l’emphatique, mais un talent nerveux et, en quelque sorte, dépouillé. Plaide-t-il ? De suite on est frappé du ton simple et naturel. Le fond est précis, net – sans bavures. C’est par des traits courts, incisifs, qu’il emporte la conviction.
Il a le sens du développement logique. Non point de cette logique trompeuse, en surface, qui ne sauvegarde que l’apparence – telles ces fausses fenêtres de l’art italien du dix-huitième – mais des idées justes qui se commandent dans un ordre rigoureux, cartésien, en profondeur.
Travailleur, il ne s’en croit pas. Croire que c’est arrivé ou qu’on est arrivé, n’est-ce pas la pire duperie – surtout pour soi ? Il a trop de bon sens pour se tromper si lourdement.
D’aucuns le disent « arriviste ». Erreur. Son scrupule est extrême dans le choix des moyens et sa politesse ne voudrait heurter quiconque sur la route encombrée du succès. Ambitieux alors ? Oui, et légitimement, armé pour la lutte, il veut seulement la place dont son effort est digne. Un peu « cassant » peut-être. Comme tous ceux, trop rares, qui ont à la fois du talent et du caractère, il ne répand pas alentour ces compliments sucrés qui séduisent – ou endorment.
Aussi, dès l’abord, ne conquiert-il pas les cœurs, sa poignée de main, précipitée, ne s’attarde pas en effusions superflues : les heures sont trop courtes pour les longues palabres. Galerie Marchande. Les couloirs ? Tout juste un passage nécessaire du vestiaire aux salles d’audience. Mais pour qui le connaît mieux, quelle nature dévouée, digne de l’affection de ses amis.

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Il nous arrive d’une vieille colonie des Antilles. Colonial déraciné, il est de ceux qui gardent le fidèle souvenir d’un pays qui fait des hommes d’action dans les réveils brutaux d’une prestigieuse nature.
Encore adolescent, il vient en France. Le Lycée de Toulouse l’accueille et, en 1915, il y termine ses études avec le Prix d’honneur de philosophie. Le voici à la faculté de droit : elle ne suffit point à son activité. Il se rappelle les joies éprouvées, plus jeune, lorsqu’il évoquait entre les vers de l’Illiade ou de l’Enéide, le brillant cortège des Héros et des Dieux. Il veut s’attarder encore dans le jardin des muses et prépare une licence ès-lettres qu’il passe – brillamment. Licencié en droit, un an plus tard, il prête serment devant la Cour de Toulouse et travaille dans le même temps le concours de la conférence et son doctorat. Deux ans après, il est second secrétaire et docteur en droit, avec les félicitations du jury. Son sujet de thèse, « L’enrichissement sans cause », remporte la médaille d’or de concours, on l’honore d’une souscription du ministère de l’Instruction publique et, depuis, l’ouvrage est cité comme référence dans les recueils de droit.
Il ne va pas dormir sur ces premiers lauriers. Dès novembre 1921, à la rentrée de la Conférence, il prononce un discours sur « la critique et le droit de réponse » - inspiré du procès Sylvain-Doumic - tandis qu’il s’accoutume aux procès d’Assises. Il commence à être connu… en province. Son ambition veut réaliser davantage : c’est Paris qui consacrera ses succès.

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Il y arrive seul, sans relations, sans appui, mais avec un bagage solide, un robuste optimisme, une inépuisable ardeur. Jamais encore il n’a franchi le seuil du Palais, lorsqu’il apprend que Campinchi, en pleine ascension vers une renommée grandissante, cherche un nouveau collaborateur… Une heure de conversation où il est surtout parlé de littérature et voici Monnerville « hier sans dossiers et demain sans loisirs ».
D’aucuns de la même génération eussent cru s’humilier, au retour de la guerre, en « reprenant du service » chez un aîné. Erreur d’avenir, surtout lorsque le « patron » est un ami selon la formule nouvelle : des conseils, des dossiers, et, pour le jeune qui attend une clientèle, des résultats… fructueux.
Sept ans ont passé : Campinchi et Monnerville poursuivent la route ensemble, à leur commune satisfaction. L’avocat de toutes les causes retentissantes a un collaborateur digne de lui.
Assuré par Campinchi d’une intarissable besogne, Gaston Monnerville, en 1921, n’en est pas moins pour tous un inconnu. Sans doute il a été secrétaire de la Conférence… à Toulouse. Mais qui le sait ? Il y a loin de la Sainte-Chapelle au Capitole. C’est dans notre salle des Conférences qu’il veut faire confirmer son mérite. Il y réussit d’emblée et siège comme secrétaire de la promotion de 1924-1925.
Et il plaide. Beaucoup. Pour ses débuts aux assises de la Seine, il reçoit, après l’arrêt, les félicitations du Président Bouchardon. Dans tous les procès criminels de ces dernières années, de Charrier et Petlioura, on le voit aux côtés de Campinchi, secondant fidèlement le « patron » dont le renom grandit et que la sympathie de ses confrères porte d’un coup au Conseil de l’Ordre.
En dépit d’une telle collaboration, Monnerville trouve le temps de faire des conférences et, à l’occasion, de donner la mesure de son attachement à sa lointaine Martinique.
Un bruit court : la situation financière s’aggrave. Une occasion – unique – se présente de la rétablir. Pour régler nos dettes de guerre, on nous propose de vendre nos colonies des Antilles. Déjà des financiers s’agitent, soutenus par une presse à leurs ordres. Alors Monnerville, indigné, entreprend une véritable campagne de conférences pour dénoncer, à ses débuts, la funeste entreprise. L’écho en arrive au Parlement et bientôt la menace est écartée.

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Avec une semblable activité, et trente ans à peine, Monnerville ne pouvait manquer de s’intéresser aux questions professionnelles. Il apprend qu’elles sont discutées dans un groupement du Palais qui voit venir chaque jour à lui de nouveaux adhérents et de précieux concours : l’Union des jeunes avocats. Il s’y inscrit, sa valeur l’impose rapidement aux fonctions de rapporteur général et l’année suivante à celles de Président de la Commission d’Etudes.
Le 7 novembre 1927, l’Union des Jeunes renouvelle son comité. Les suffrages de l’Assemblée portent à la Présidence Gaston Monnerville et, comme il convient entre adversaires qui s’estiment, la sévérité de la lutte ne laisse pas d’amertume au rival dont il triomphe.
De suite on lui fait confiance. Gage précieux de succès dans un rôle parfois difficile. Une association de cinq cents membres, qui s’occupe de réalisations professionnelles, provoque aisément la méfiance de ceux qui dorment habituellement «  sur le mol oreiller des préjugés confortables ». Présider aux destinées d’un tel groupement exige des qualités multiples et souvent même contradictoires.
Il faut du caractère, sans intransigeance, de l’autorité sans prétention ; de la persévérance sans entêtement ; de la diplomatie, sans duplicité. On doit rester fidèle à ses amis autant qu’à ses idées en cherchant à persuader, plus qu’à convaincre ; accueillir toutes les critiques sans colère et – plus encore – les compliments sans illusion ; ne décourager aucune ambition légitime pour ne se priver d’aucun concours ; négliger délibérément ses propres affaires pour donner en temps opportun son effort dans l’intérêt de tous ; savoir ce que l’on veut, le dire et le faire dire sans froisser jamais personne, être compris par ses aînés aussi bien que par les jeunes, devenir ainsi l’élu de tous en restant soi-même, voilà, mon cher Monnerville, un programme à la mesure de ton talent.
Réalise-le : il te vaudra tous les suffrages. Le talent et le caractère ne donnent pas que des succès. Ils font aussi des amis. Tu es par avance assuré de n’en manquer jamais.

 
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