Aide
 
 
Recherche avancée
 
       
 
La salle de lecture

Deux ans après son inauguration, l’avocat Edmond Benoît-Lévy donne en 1892 une description vivante et parfois divertissante de la grande salle de lecture. En voici quelques extraits :

« L’étroite et sombre Bibliothèque est devenue un établissement confortable. Mais il n’y a pas longtemps ! Ce fut d’abord un couloir donnant invisiblement sur cette cour adorable où veillent les sœurs du Dépôt ; le couloir aboutissait à deux chambres étroites et là on s’empilait, s’empilait. Cette installation devait se compléter, l’année suivante, par l’ouverture d’une grande salle qui communiquerait avec le couloir transformé en galerie ; il ne restait qu’à déménager les documents du casier judiciaire entassés en cet endroit. Le déménagement a duré onze ans et c’est seulement à la rentrée d’octobre 1890 que, grâce à l’insistance du bâtonnier, Me Cresson, et au concours dévoué des avocats faisant partie du Conseil municipal, l’aménagement actuel a pu être terminé.

Cela ressemble maintenant à une véritable Bibliothèque : vaste salle de lecture avec galerie annexe, deux étages d’armoires grillagées contenant les livres, légère passerelle de fer desservant le second ; longue table comme pour les délibérés, de plus petites comme pour des soupers et sur toutes ce qu’il faut pour écrire. […] De bonne heure, les avocats qui ont de longues recherches à faire apparaissent et s’installent commodément. Rien ne les trouble, si ce n’est le passage de quelque confrère venu au Palais en avance, qui parcourt distraitement un dossier ou s’en va causer avec le bibliothécaire. Mais les chercheurs se succèdent : des passants pressés qui ont à copier un arrêt ou une réponse à dénicher dans quelque ouvrage spécial. C’est de longues promenades tâtonnantes de rayon en rayon, le va-et-vient du bibliothécaire et de son adjoint, non moins complaisant que lui-même.

Arrivent les flâneurs, encore en robe ou en civil déjà, qui ne peuvent pas se décider à quitter le Palais, disent un bonjour par-ci, tendent une main par-là, s’accoudent près d’un camarade et potinent. Le travailleur d’en face s’agite, va fiévreusement feuilleter un volume, revient à la table, se pelotonne, la tête dans les mains, les pouces sur les oreilles, puis, lassé, va bavarder à son tour, plus loin. Livres et papiers restent pittoresquement étalés et les nouveaux venus, n’osant troubler cette belle ordonnance, quêtent difficilement une place. Il y a  des causeurs terribles à la Bibliothèque et ce ne sont pas toujours les plus bavards à l’audience. Ils parlent à haute voix, en maîtres, donnent des consultations sur les difficultés que des voisins proposent et racontent interminablement les légendes de la profession. Au retour des vacances surtout, ils sont dangereux et, quand ils rencontrent des chasseurs, il n’y a plus qu’à déserter.

Les grands maîtres apparaissent rarement. Une fois de temps en temps, Me Cresson, souriant, vient contempler son œuvre ; le membre du Conseil chargé de la surveillance de la Bibliothèque passe raide et administratif. Trois ou quatre anciens seulement ont coutume de venir travailler à la Bibliothèque avec leurs secrétaires ; ils choisissent alors les petites tables à deux, dans la galerie. Tel y donne son enseignement, sans réplique ; tel autre fait faire des dictées au jeune homme déjà mûr ; tel surveille de sa place des recherches de jurisprudence ; tel, qui préfère la Salle des journaux, distribue des besognes de copie et pioche de sa personne dans un amoncellement de livres. Des moins réguliers entrent en courant, écrivent lettres sur lettres, consultent l’indicateur ou le Bottin et disparaissent.

Dès trois heures, l’hiver, au moment du maximum de travail, quand les têtes se congestionnent, les trois employés de la bibliothèque commencent la rafle des livres. Tant pis pour le travailleur qui a quitté sa place un instant : quand il revient, les volumes qu’il avait soigneusement triés et ouverts à la bonne page ont réintégré les armoires, c’est un fléau, et à quatre heures, il faut partir ; vainement on fait la sourde oreille aux doléances de l’employé ou du bibliothécaire, il faut abandonner la copie interrompue. Quand la Bibliothèque aura-t-elle l’électricité ? L’été, on ne ferme qu’à cinq heures. Mais il y a encore des gens pour geindre quand on les renvoie et qui sont là depuis vingt minutes à peine.»

L’électricité qu’Edmond Benoît-Lévy appelait de ses vœux a bientôt amélioré les conditions de travail des lecteurs : sur les photographies ci-dessous, prises en 1983, d’imposants néons apportent une touche de modernité dans un décor à la fois classique et austère, que viennent rehausser des tapisseries et les bustes d’anciens bâtonniers. Une fois dans l’année, cet univers dédié au travail connaît l’animation des élections ordinales. La salle de lecture résonne alors des ovations réservées aux élus et, tous les deux ans, le nouveau chef de l’Ordre, comme Louis-Edmond Pettiti en 1977 (photo en couleurs), y prononce son premier discours de bâtonnier.

 
Un conseil de confiance dans un monde de droit
Suppport Plan du Site Mentions Légales
© 2006 - L'Ordre des Avocats de Paris